Du carême à la passion... paroles d’un patient et d’un visiteur (Aumônerie CH Avignon)

28 mars 2019

Voici une célébration originale du Vendredi saint à l’aumônerie œcuménique du C.H. d’Avignon en 2017. Elle reprend tout le cheminement du carême à la passion (année A), vécu par un patient et par un visiteur. Cette célébration peut être reprise et adaptée.

  • 1er dimanche de Carême

En ce temps-là, Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable. Après avoir jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’approcha et lui dit : « Si tu es Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains. » Mais Jésus répondit : « Il est écrit : L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. » Mt 4.

Patient : La maladie est une longue traversée du désert, une marche solitaire, un lieu de questionnement (pourquoi ? comment ? est-ce que ?) ; elle peut être également le temps de la crainte, de l’angoisse, le temps du silence et du cri, de l’intériorisation.
Je commence sur mon lit de malade une démarche d’intériorisation pour séparer le réel du mirage, je mets à profit mon isolement pour chercher au plus profond de moi Jésus qui me rassure.
Mon cri, j’en suis sûr, parvient jusqu’à lui.

Visiteur : J’ouvre la porte de la chambre. Lui, a les yeux fixés vers l’extérieur. Après un temps d’hésitation, je le dérange, je me présente.
Quelques banalités échangées, puis un soupir. Je me tais, j’attends. Et il commence à parler : son arrivée ici à l’hôpital, la rupture avec le quotidien, les cris du patient d’à côté. L’agitation autour de lui, de son corps par l’équipe soignante, la présence de ses proches… et paradoxalement une grande solitude.
Je m’assois sans bruit, attentive à ses paroles.
« Ma vie est bien remplie, je vis à fond de train, je suis très investi dans mon boulot, ma famille. Et depuis que je suis là, je me retrouve avec moi-même, ça fait drôle. Ça ne m’est pas arrivé depuis longtemps…
Les médecins disent que je peux me retaper, mais que ma vie ne sera pas la même. Je peux me retaper, mais est-ce que je le veux aussi, si c’est changer de vie ? La vie dont ils me parlent, que sera-t-elle, quel goût aura-t-elle ? dans quelles conditions ? comment je peux m’en sortir ? J’ai peur de m’enfoncer. Je ne suis pas sûr de trouver la force. »
(Silence)
« Et puis… dans une autre chambre, quelqu’un a crié toute la nuit « Mon Dieu ». Dieu, Jésus et tout ça, je ne m’en suis pas occupé depuis ma communion ; et aujourd’hui voilà que reviennent de lointains souvenirs. Mais, si Dieu existe vraiment, est-ce qu’il peut m’entendre ?
Si je lui demande de me remettre sur pied, est-ce qu’il le fera ? Si je réapprends mes prières, est-ce qu’il peut me remettre en forme ? »
Il se tait, me regarde.
Je prends la parole avec un petit sourire : « Que de questions ! Vous êtes vraiment à l’hôpital (j’allais dire : bienvenue !) : un lieu à l’écart du monde où surgissent les questions fondamentales sur l’existence ! C’est normal que vous vous posiez toutes ces questions… merci de me les partager.
Dans l’épreuve, on vacille, les projets sont remis en question, on ne sait plus que penser ni à quoi se raccrocher… Et oui, on peut se tourner vers Dieu ou le Tout Autre qui nous dépasse pour lui dire notre désarroi, nos peurs… pour trouver une issue. D’ailleurs je ne sais pas bien si on se tourne vers Dieu ou si c’est Dieu qui se tourne vers nous !
… Je vais vous faire une confidence. Je crois que Dieu (moi, je l’appelle comme cela), n’est pas là pour faire à notre place, mais pour nous aider à trouver la sortie, pour nous donner la force de vivre ce qu’on a à vivre, d’entreprendre ce qu’on a à entreprendre. C’est comme Jésus dans le désert : c’est au moment où Jésus est faible, fragilisé que Satan (le Diviseur) vient le mettre à l’épreuve : « si tu es Fils de Dieu… ».
En état de fragilité, nous sommes tentés de dire à Dieu ce qu’il pourrait faire pour nous en lui imposant la solution, ou nous sommes tentés de négocier avec lui une aide de sa part. Eh bien, impossible de se mettre à la place de Dieu ! Ses moyens d’agir (parfois détournés) n’appartiennent qu’à lui. Il n’est ni magicien ni héros aux supers-pouvoirs ; il marche discrètement à nos côtés pour nous soutenir, nous aider à agir.
Et ici, vous êtes un patient, vos réponses vont prendre le temps d’arriver !
Vous verrez, vous vous rendrez compte à posteriori, lorsque des nœuds se seront dénoués, que sans doute Dieu était là….
Alors n’hésitez pas à accepter sa présence. Il suffit de dire, au fond de son cœur, quand le silence autour se fait autour de vous : « Dieu, viens à mes côtés » ou « Père, toi qui dit aimer tous les hommes, j’aimerais prendre appui sur toi…C’est si simple, lâchez-prise ! »
Je quitte ce monsieur, qui reprend le fil de ses pensées, peut-être en y laissant un espace pour l’amour que Dieu lui offre, une oasis dans son désert.

Ps 12  : Combien de temps, Seigneur, vas-tu m’oublier ? ... Moi, je prends appui sur ton amour ; que mon cœur ait la joie de ton salut !

Seigneur, avec toi nous irons au désert,
Poussés comme toi par l’Esprit,
Et nous mangerons la Parole de Dieu,
Et nous choisirons notre Dieu,
Et nous fêterons notre Pâque au désert :
Nous vivrons le désert avec toi.

  • 2e Dimanche de Carême

En ce temps-là, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et il les emmena à l’écart, sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements, blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Élie, qui s’entretenaient avec lui. Mt 17

Patient  : Il est dangereux de s’aventurer seul en montagne, comme dans le désert. La guérison est parfois comme un sommet très élevé, trop élevé pour que l’on puisse espérer l’atteindre un jour. Mais Jésus est là, c’est lui qui guide ses trois disciples. Pierre divague : il veut s’installer sur ce sommet - ‘dressons trois tentes’. Il sent bien qu’il se passe quelque chose qu’il ne comprendra que bien plus tard, lorsque Jésus se sera relevé d’entre les morts. Mais il perçoit ces présences : Jésus enveloppé de gloire, Moïse et Elie, les deux prophètes qui ont rencontré Le Seigneur au sommet du Mont Sinaï.
Je perçois et j’accueille petit à petit cette révélation : Jésus est présent sur la montagne, dans ma vie, dans ma maladie.
Je ne comprends pas tout, mais comme les trois disciples, je me laisse recouvrir par la nuée de cette présence, et là, j’entends la voix de mon Père, voix rassurante, voix qui m’apporte la paix en compagnie de Jésus.

Visiteur : Je viens de voir Daniel, qui vieillit tout doucement, tranquillement. Il a lâché prise devant ses forces qui l’abandonnent progressivement : d’abord les pieds, puis maintenant la totalité de ses jambes. A quand les bras ? Faudra-t-il un jour le faire manger ? Mais cela ne l’angoisse ni ne l’inquiète. Il me dit : « Je vis tout cela dans la confiance, dans une très grande confiance ».
Il sait que Jésus est là, qu’il est présent dans son quotidien. Un jour, il a croisé le regard d’un pauvre, un regard si profond et si tendre qu’il reste pour lui l’icône du Christ qui le regarde, jour après jour avec le même amour. Alors il ne craint pas ; il est environné de sa présence.
Et moi, j’écoutais en silence et dans l’action de grâce.

Je prie avec le psaume 17 :
Je t’aime, Seigneur, ma force : Seigneur, mon roc, ma forteresse, Dieu mon libérateur, le rocher qui m’abrite, mon bouclier, mon fort, mon arme de victoire ! Vive le Seigneur ! Béni soit mon Rocher !

N’aie pas peur ! Laisse-toi regarder par le Christ,
Laisse-toi regarder car il t’aime (bis)

 

  • 3e Dimanche de Carême

En ce temps-là, Jésus arriva à une ville de Samarie, appelée Sykar, près du terrain que Jacob avait donné à son fils Joseph. Là se trouvait le puits de Jacob. Jésus, fatigué par la route, s’était donc assis près de la source. C’était la sixième heure, environ midi. Arrive une femme de Samarie, qui venait puiser de l’eau.
Jésus lui dit : « Donne-moi à boire. » Jn 4.

Patient : Au plus chaud de la journée j’ai besoin d’eau car sinon je sens que je vais défaillir. Je vais au puits, et là, stupeur, je vois que Jésus est là ! Et non seulement il est fatigué, mais encore il a soif, lui aussi ! Et en plus il me demande à boire, à moi qui ai besoin d’eau ! C’est inouï, d’autant plus qu’il m’adresse la parole en se faisant suppliant comme le premier mendiant venu !
Il me fait parler, raconter ma vie. Oui, j’ai souffert durant mon existence. Oui, j’ai perdu successivement mes cinq maris et ma blessure n’est pas refermée : je suis partie hors des clous maintenant, mon homme n’est pas mon mari. Mais j’ai tant besoin d’amour !
A propos d’amour, où faut-il adorer Dieu ?, comment faut-il l’aimer ?, et, d’ailleurs, m’aime-t-il encore après tout ce que j’ai vécu ?
Mais cet homme dont je vois bien qu’il est un prophète a réveillé en moi une force puissante, une soif d’absolu et je crois maintenant qu’il est le seul à pouvoir me donner cette eau vive, qui purifie et me fait revivre.

Visiteur : En rencontrant M. P., il me heurte dans sa différence, son apparence, ses conceptions. Je laisse de côté mes préjugés, mes interprétations possibles et décide d’être au plus proche.
Sachant que sa famille vient le voir, je l’invite à me parler de son entourage familial. Je relève les points d’appui et les relations plus difficiles. Alors qu’il s’engage dans le récit de souvenir, je le laisse dérouler son histoire de vie. J’acquiesce, je reformule pour l’inviter à continuer plus loin. Je repère les moments d’émotions, quand la gorge se resserre, que le discours s’arrête. J’accueille les pauses silencieuses sans les troubler.
Je souligne ensuite son émotion et le laisse aller plus profond où peut être je respecte qu’il veuille s’arrêter là pour l’aujourd’hui. J’écoute au-delà du discours ce qu’il ne peut encore dire ou se dire. J’entends dans son récit les incohérences. J’accueille ce qui est pour lui encore si confus dans son cheminement spirituel. J’entends ces questionnements et l’amène à une réflexion, lui suggère quelques possibles pour qu’il trouve des repères et s’apaise.
Je sais que sur le chemin le Christ est là, celui qui a été fatigué comme lui et a souffert. Je l’invite à boire à sa source.

Je prie avec le psaume 41 :
Comme un cerf altéré cherche l’eau vive, mon âme a soif de Dieu,
Pourquoi te désoler, ô mon âme, et gémir sur moi ?
Espère en Dieu ! De nouveau je rendrai grâce : il est mon sauveur et mon Dieu !

Comme une biche qui désire l’eau vive,
Ainsi mon âme te cherche, ô mon Dieu.
Elle a soif de toi,
Dieu de toute vie.
Quand viendrai-je et verrai-je la face de Dieu ? (bis)

 

  • 4e Dimanche de Carême

En sortant du Temple, Jésus vit sur son passage un homme aveugle de naissance. Ses disciples l’interrogèrent : « Rabbi, qui a péché, lui ou ses parents, pour qu’il soit né aveugle ? » Jésus répondit : « Ni lui, ni ses parents n’ont péché. Mais c’était pour que les œuvres de Dieu se manifestent en lui. Il nous faut travailler aux œuvres de Celui qui m’a envoyé, tant qu’il fait jour ; la nuit vient où personne ne pourra plus y travailler. Aussi longtemps que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde. »
Cela dit, il cracha à terre et, avec la salive, il fit de la boue ; puis il appliqua la boue sur les yeux de l’aveugle, et lui dit : « Va te laver à la piscine de Siloé » – ce nom se traduit : Envoyé. L’aveugle y alla donc, et il se lava ; quand il revint, il voyait. Jn 9

Patient : Je n’intéresse pas grand monde : les habitués du Temple ne me remarquent même plus, ma famille a pris ses distances, même l’évangéliste qui raconte mon histoire n’a pas pris soin de noter mon nom. Je suis le mendiant de la porte du Temple, comme j’aurais pu être le patient de la chambre 14.
Sauf qu’un homme, lui, m’a vu. Le seul parmi cette bande d’aveugles qui m’entourent à m’avoir vu. Et ses amis de lui poser les questions 1000 fois entendues : « Pourquoi ? Pourquoi ? » Il a parlé de lui comme de la Lumière du monde ; il a fait de la boue comme Dieu au commencement du monde ; il m’a envoyé me laver et quand je revenais, c’est moi qui voyais alors que ceux qui avaient l’habitude de me voir ne me reconnaissaient plus !
Moi, je voyais bien que c’était un prophète, et même, je me suis mis à croire en lui parce qu’il a illuminé mon regard.

Visiteur : Je marque l’arrêt devant la porte fermée de la chambre de madame X. Hier, j’ai déjà rencontré cette personne, ma prière est la suivante : « Seigneur, cette femme est unique à tes yeux. Elle est ta créature bien aimée, inspire-moi l’attitude à pendre, les paroles à dire et les silences à observer. »
Je rentre. Les volets sont descendus. Le même bandeau sur les yeux qu’hier cache ses yeux pour la soulager de l’inconfort des rayons du jour. Elle reconnait ma voix et m’invite à m’asseoir tout prêt d’elle. Elle m’annonce en me prenant la main que quelques nouvelles lui sont parvenues de son état de santé. Les médecins cherchent la cause et le traitement. Elle m’annonce qu’elle vit une paix inexplicable malgré l’incertitude. « Une flammèche habite mon cœur et la confiance m’habite » dira-t-elle. « Je crois bien que Dieu est tout proche... »

Je prie avec le Psaume 8 :
Ô Seigneur, notre Dieu, qu’il est grand ton nom par toute la terre !

Trouver dans ma vie ta présence
Tenir une lampe allumée
Choisir avec toi la confiance
Aimer et se savoir aimé.

 

  • 5e Dimanche de Carême

En ce temps-là, il y avait quelqu’un de malade, Lazare, de Béthanie, le village de Marie et de Marthe, sa sœur. Or Marie était celle qui répandit du parfum sur le Seigneur et lui essuya les pieds avec ses cheveux. C’était son frère Lazare qui était malade.
Donc, les deux sœurs envoyèrent dire à Jésus : « Seigneur, celui que tu aimes est malade. » En apprenant cela, Jésus dit : « Cette maladie ne conduit pas à la mort, elle est pour la gloire de Dieu, afin que par elle le Fils de Dieu soit glorifié. »
Jésus aimait Marthe et sa sœur, ainsi que Lazare. Jn 11

Patient : Mais que fait Jésus ? Cela fait longtemps que je lui ai fait dire que son ami Lazare est malade, au point que, ma sœur et moi, nous sommes folles d’inquiétude. Encore un jour qui passe, et l’inéluctable s’est produit : Lazare est au tombeau sans que Jésus se soit manifesté. Mais où est-il ? Je suis plongée dans la nuit noire ; qui viendra rouler la porte qui obscurcit mon cœur ?
Mais voilà qu’on m’annonce qu’Il est là ! Je bondis et vais à sa rencontre, je lui dis toute la tristesse de mon cœur, combien il aurait pu faire quelque chose, lui qui nous aime tant.
Il me parle, j’essaie de me rassurer en lui parlant à mon tour. Je lui dis que j’espère … pour plus tard, à la fin des temps. Mais lui a des paroles étonnantes : c’est tout de suite qu’il veut revoir Lazare. Pouah ! L’odeur !
Je n’ai pas tout compris sur le coup, quand Lazare est sorti. Bien sûr, j’ai cru que mon ami est vraiment le Sauveur, mais c’est plus tard qu’en lisant Jean (chap. 12, v. 9), j’ai compris une chose : à cause de ce qui s’est passé aujourd’hui, les chefs des prêtres ont décidé sa mort, donc, en redonnant vie à mon frère, Jésus a volontairement pris sa place dans le tombeau.
La sœur de Lazare

Visiteur : Je ne sais pas comment je réagirai par rapport à la mort d’un proche. Oui, je parle souvent de la mort avec les familles que je rencontre dans mes visites, mais je suis bien obligé de reconnaître que, bien souvent, mon discours vise à me protéger. Je leur parle de lumière, de bonheur, de paix que plus rien ne peut troubler, de sérénité, de la présence de Jésus ; bref je leur récite mon catéchisme, un peu comme la sœur de Lazare.
Mais au fond de moi une voix murmure que ce serait si simple pour Lui de faire quelque chose… Et l’horreur de la mort, le poids de la solitude, l’angoisse de la souffrance, qu’est-ce que j’en sais ?

Je prie avec le Psaume 54
Mon Dieu, écoute ma prière, n’écarte pas ma demande.
Exauce-moi, je t’en prie, réponds-moi ; inquiet, je me plains.
Mon cœur se tord en moi, la peur de la mort tombe sur moi ;
crainte et tremblement me pénètrent, un frisson me saisit.

Viens Esprit Saint, viens embraser nos cœurs,
Viens au secours de nos faiblesses,
Viens Esprit Saint, viens Esprit consolateur,
Emplis-nous de joie et d’allégresse !

 

  • Rameaux : L’entrée messianique à Jérusalem

Jésus et ses disciples, approchant de Jérusalem, arrivèrent en vue de Bethphagé, sur les pentes du mont des Oliviers. Alors Jésus envoya deux disciples en leur disant : « Allez au village qui est en face de vous ; vous trouverez aussitôt une ânesse attachée et son petit avec elle. Détachez-les et amenez-les moi. Et si l’on vous dit quelque chose, vous répondrez : ‘Le Seigneur en a besoin’. Et aussitôt on les laissera partir. »
Cela est arrivé pour que soit accomplie la parole prononcée par le prophète : Dites à la fille de Sion : Voici ton roi qui vient vers toi, plein de douceur, monté sur une ânesse et un petit âne, le petit d’une bête de somme. Mt 21.

Patient  : Je ne suis qu’un âne, mais je m’y connais en hommes et je peux vous dire que celui qui me monte actuellement n’est pas comme les autres. Je le sens à peine, c’est un régal de le porter. Il me rappelle celui dont m’a parlé ma mère, et avant elle la mère de ma mère, etc... - les ânes ont la mémoire longue - : le roi David que mon glorieux ancêtre avait porté.
Mais ces gens qui l’acclament ? Nous en parlions hier soir à l’étable : ce Jésus aurait ressuscité Lazare. Alors, bien sûr, ça fait le buzz comme disent les ânons. Mais je m’en méfie un peu : je suis bien placé pour savoir qu’un jour on te flatte à l’encolure, et cinq minutes après tu te reçois des coups simplement parce qu’un brin d’herbe est passé sous ton nez et que tu as voulu l’attraper. Les hommes veulent vraiment qu’on obéisse à toutes leurs volontés.
Moi, au fond, ce que je me rappellerai de ce Jésus, c’est qu’il est doux, et que ce fardeau est léger à porter.
L’âne de Bethphagé

Visiteur : Depuis plusieurs jours et semaines, nous accompagnons Solange, une dame d’une grande foi, très discrète. Elle nous accueille toujours d’une voix douce accompagnée d’un petit sourire.
L’approche de la mort et la séparation avec son mari et leurs nombreux enfants la rend triste, et la plonge dans un profond désarroi. Elle se raccroche à Jésus dans sa prière, elle voudrait tant que le Jésus qu’elle prie depuis qu’elle est toute petite, ne la lâche pas aujourd’hui ; que le mot Espérance qu’elle a tant de fois prononcé prenne encore plus corps et sens aujourd’hui. Elle sait que la maladie progresse.
Hier sa voix n’était plus qu’un murmure, mais son sourire était franc. Elle était dans la joie : joie d’avoir connu le Seigneur et d’avoir vécu avec lui à ses côtés. Joie d’avoir pu le porter en elle à chaque eucharistie… et aujourd’hui d’espérer qu’il la porte et qu’il la prenne avec lui, dans l’amour qu’il nous promet.
Hier elle était remplie de douceur : elle restait calme face à l’avenir. Elle m’a dit qu’elle avait porté le poids qu’elle avait pu porter ; que le fardeau de la vie, tantôt léger tantôt plus lourd, elle avait été heureuse de le porter, et que bientôt elle allait le déposer. Elle avait donné tout son amour à son mari, ses enfants et elle allait en échange emporter leur amour avec elle.
Alors dans la prière, nous avons rendu grâce pour sa vie, sa famille. Nous avons renouvelé son appel à l’Espérance ! Et elle a reçu le Seigneur.
Avant de la quitter, je l’ai embrassée sur le front. Elle m’a remerciée avec son sourire plein de douceur.
Depuis ce matin, elle n’est plus avec nous, mais avec Lui.
Bénis le Seigneur, ô mon âme, n’oublie aucun de ses bienfaits !

Mon âme se repose en paix sur Dieu seul
De lui vient mon salut ;
Oui, sur Dieu seul mon âme se repose,
Se repose en paix.

 

  • Jeudi Saint - Le lavement des pieds

Avant la fête de la Pâque, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde à son Père, Jésus, ayant aimé les siens qui étaient dans le monde, les aima jusqu’au bout.
Au cours du repas, alors que le diable a déjà mis dans le cœur de Judas, fils de Simon l’Iscariote, l’intention de le livrer, Jésus, sachant que le Père a tout remis entre ses mains, qu’il est sorti de Dieu et qu’il s’en va vers Dieu, se lève de table, dépose son vêtement, et prend un linge qu’il se noue à la ceinture ; puis il verse de l’eau dans un bassin. Alors il se mit à laver les pieds des disciples et à les essuyer avec le linge qu’il avait à la ceinture.
Il arrive donc à Simon-Pierre, qui lui dit : « C’est toi, Seigneur, qui me laves les pieds ? »
Jésus lui répondit : « Ce que je veux faire, tu ne le sais pas maintenant ; plus tard tu comprendras. »
Pierre lui dit : « Tu ne me laveras pas les pieds ; non, jamais ! »
Jésus lui répondit : « Si je ne te lave pas, tu n’auras pas de part avec moi. »
Simon-Pierre lui dit : « Alors, Seigneur, pas seulement les pieds, mais aussi les mains et la tête ! » Jn 13

Patient : Je dois avoir du Pierre en moi : pas le grand St Pierre, mais le Pierre de ce soir, le râleur qui n’accepte pas de se faire laver par Jésus.
C’est vrai que c’est humiliant de se faire laver ; la toilette n’est pas le moment le plus agréable de la journée. Mais je suis bien obligé d’accepter en ravalant ma fierté, comme Pierre, qui finit par lâcher prise et qui demande à Jésus de lui laver aussi les mains et la tête, lui, l’aide-soignant de ce saint Jeudi.
Il se fait mon serviteur, au plus près de mon corps douloureux, pour toucher ma maladie et son lot de souffrance. Je pense à demain : il se sera fait tellement proche de moi que son corps tout entier ne sera que plaie, douleur, souffrance.

Visiteur  : « S’il vous plait ! S’il vous plait ! Venez me voir ! » C’est le cri d’une vieille dame toute débraillée, installée dans la chambre 12 du 5e étage de la tour A.
Dans le couloir, j’aperçois une soignante pressée vers qui je manifeste ma présence et mon concours. Avec soulagement, elle accepte que je prenne le relais auprès de cette octogénaire qui refuse la toilette et les soins.
L’odeur qui se dégage de ce corps décharné m’est très incommode. Je regarde les yeux de cette femme, quelque chose d’enfantin s’en dégage.
Je lui souris. Elle me sourit.
Je lui demande : « Que puis-je faire pour vous ? »
Elle me répond : « Je ne veux pas être seule »
Sur l’adaptable j’aperçois un chapelet. Je lui demande : « Voulez-vous que nous priions ensemble la Vierge Marie ? »
Elle acquiesce avec la tête.
Nous égrenons ensemble une dizaine de chapelet et, souvent nos regards se croisent. Puis, l’aide-soignante entre dans la chambre avec le matériel pour procéder à la toilette. Je me retire pour lui laisser la place et promet à cette dame de revenir la visiter.

Je prie avec le Psaume 50 :
« Lave moi et je serai blanc plus que la neige, …
Ils danseront les os que tu broyais.
Détourne de ta face de mes fautes, enlève tous mes péchés.
Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu...

Lave-moi, Seigneur mon Dieu,
Purifie-moi, prends pitié de moi. (bis)

 

  • Jeudi Saint : l’Eucharistie

Frères, moi, Paul, j’ai moi-même reçu ce qui vient du Seigneur, et je vous l’ai transmis : la nuit où il était livré, le Seigneur Jésus prit du pain, puis, ayant rendu grâce, il le rompit, et dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous. Faites cela en mémoire de moi. »
Après le repas, il fit de même avec la coupe, en disant : « Cette coupe est la nouvelle Alliance en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. » 1Co 11

Patient : C’est curieux ce silence de l’Evangile sur l’Eucharistie. On a l’impression que Jean veut garder cela secret. Un peu comme moi : je n’ose pas demander que l’on m’apporte la communion, je ne veux pas déranger, je ne m’en sens pas digne, qui suis-je pour mériter cela ? Ce Dieu qui continue de se faire si proche de moi qu’il se fait pain, un si petit morceau...
Mais au fond de moi je sens un torrent puissant qui emporte sur son passage toutes mes réticences. Oui, c’est parce qu’il est si petit qu’il ne me fait plus peur ; c’est parce qu’il est si humble qu’il a vaincu ma superbe !
Alors oui, Seigneur, donne-moi ton corps et ton sang comme tu as donné la source d’eau vive à la Samaritaine !

Visiteur : Aujourd’hui dimanche, c’est moi qui vais apporter la communion. J’arrive en traumatologie, pour rencontrer Thérèse.
Il se trouve qu’en entrant dans la chambre, je reconnais Patricia, secrétaire à la radiologie, assise sur le lit côté porte. Patricia est un petit bout de femme, d’habitude maquillée et habillée de façon originale avec plein de couleurs. Elle semble se déplacer dans un monde un brin naïf. Ce matin, elle est contente de me reconnaître et m’explique ses mésaventures.
Je salue aussi Thérèse, encore faible, qui m’accueille avec un sourire. « Je viens vous apporter la communion. » Et je propose à Patricia de s’associer à notre prière : elle hésite. Elle me confie que de temps en temps, elle entre dans l’Eglise de Saint-Pierre, mais depuis longtemps elle n’a plus communié ! Pourtant, aujourd’hui, hospitalisée, elle en ressent l’envie, le besoin… et accepte avec un sourire timide.
Puisque nous sommes deux et même trois réunies aujourd’hui au nom de Jésus, Jésus est là au milieu de nous ! De par notre présence dans la même chambre, et la fraternité que nous partageons même si nous venons d’horizons différents, nous sommes ensemble déjà corps du Seigneur !
Je me place entre Patricia et Thérèse : « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit »
Le silence se fait. Rite pénitentiel, parole de Dieu, partage ensemble des intentions de prière, Notre Père… Puis : « Heureux les invités au repas du Seigneur » Oui, soyez heureuses ! Vous êtes invitées, vous pouvez tranquillement mettre vos pieds sous la table, la grande table de l’Eglise, sans rien à avoir à faire qu’à être accueillie et savourer ce moment.
Et au-delà, vous êtes invitées à recevoir, accepter et savourer le don de Dieu, Jésus. Ce pain, qui se fait simple et petit pour nous habiter et se laisser digérer, est le pain de Vie, Jésus lui-même qui s’invite ! Laissons-lui un brin de place. Par l’Eucharistie, il s’invite en nous pour nourrir notre corps, donner du courage à notre esprit, animer notre foi en Dieu, Père.
« Voici le corps du Christ ! » Je donne l’hostie – corps de Jésus à Thérèse et Patricia. L’une me répond Amen, l’autre Merci ! Toutes deux ont raison.
Elles se trouvent toutes deux en comm-union avec le Christ, les yeux fermés. Puis relèvent leur tête avec un grand sourire et beaucoup d’émotion.
Merci Seigneur ! Merci de relever ce matin Thérèse et Patricia. Merci aussi, ici ou là, de continuer à relier les croyants, pour qu’ensemble nous faisions ton Eglise. Eucharisto ! »

Je prie avec le Psaume 115  :
Je t’offrirai le sacrifice d’action de grâce,
j’invoquerai le nom du Seigneur.

Devenez ce que vous recevez,
Devenez le corps du Christ,
Devenez ce que vous recevez,
Vous êtes le corps du Christ.

 

  • La Passion : Pilate

Pilate avait rédigé un écriteau qu’il fit placer sur la croix ; il était écrit : « Jésus le Nazaréen, roi des Juifs. » Beaucoup de Juifs lurent cet écriteau, parce que l’endroit où l’on avait crucifié Jésus était proche de la ville, et que c’était écrit en hébreu, en latin et en grec. Alors les grands prêtres des Juifs dirent à Pilate : « N’écris pas : “Roi des Juifs” ; mais : “Cet homme a dit : Je suis le roi des Juifs.” » Pilate répondit : « Ce que j’ai écrit, je l’ai écrit. » Jn 18

Patient : Le Tentateur avait dit : « Tout cela, je te le donnerai, si, tombant à mes pieds, tu te prosternes devant moi. » Jésus n’est pas tombé à ses pieds ; bien au contraire il est élevé de terre. Et c’est Pilate lui-même - ce spécialiste du courage face à l’opinion publique - qui affiche à la face du monde ce petit écriteau ‘Roi des Juifs’. Sa royauté n’est pas de ce monde mais on la proclame haut et fort.
C’est à n’y rien comprendre : Il vient d’être fouetté, bafoué, humilié il y a une heure et maintenant on proclame sa royauté ! Serait-ce que sa royauté est plus forte que la violence qui l’a accablé ? Serait-ce que sa Vie est plus forte que la mort ? Que ma vie est plus forte que ma maladie ?

Visiteur : Je descends rejoindre Mme L. au plus profond de sa détresse. J’accepte d’être au plus proche de l’indicible. J’écoute quelques mots murmurés, entrecoupés. Je m’approche de son oreille pour mieux saisir. J’entends les silences tout sanglotant, le cri qui ne peut même plus se dire. Je suis profondément émue par le chagrin innommable, le gouffre sans fond. Je ne perds pas pied pour autant Je perçois la solitude extrême et je me fais présence.
Je lui prends la main, signe d’un lien encore possible, porteur de La présence de celui qui demeure pour toujours. Je prie en silence. Je sais que toi Jésus tu es passé par là et que tu peux comprendre au-delà de ce qui n’est plus compréhensible à cet instant. Je sais que tu n’es pas resté au fond de l’enfer de la souffrance mais que de ta souffrance à jaillit la vie. La vie n’était pas où on l’attendait. Ton royaume n’est pas de ce monde.
Je confie Mr L. au Souffrant aussi Roi des Rois pour toujours. J’aperçois l’espoir là où il semble ne plus en avoir en sachant que dans le ravin de souffrance et de mort pousseront des verts pâturages là où on ne les attend pas. Le Roi des Rois a vaincu la mort.

Je prie avec le Psaume 6
Pitié, Seigneur, je dépéris ! je tremble de tous mes os, de toute mon âme. Je m’épuise à force de gémir. Le Seigneur entend mes sanglots ! Le Seigneur accueille ma demande…

Dieu de tendresse, souviens-toi de nous !

 

  • La Passion : Marie et Jean

Près de la croix de Jésus se tenaient sa mère et la sœur de sa mère, Marie, femme de Cléophas, et Marie Madeleine. Jésus, voyant sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, dit à sa mère : « Femme, voici ton fils. » Puis il dit au disciple : « Voici ta mère. » Et à partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui.
Après cela, sachant que tout, désormais, était achevé pour que l’Écriture s’accomplisse jusqu’au bout, Jésus dit : « J’ai soif. » Jn 18

Un moment de tendre affection au milieu de cet océan de violence. Un îlot de paix au-delà de l’incompréhensible : les derniers fidèles sont là, présents, simplement présents dans le silence. Et ils recueillent les dernières paroles de Jésus.
Grâce à eux Jésus n’est pas seul, pas tout à fait. Leur présence est une bien maigre consolation, mais c’est déjà beaucoup.
Toi, Jésus, tu souffres à côté de moi, plus que moi. Je suis là auprès de toi, comme Marie et Jean, et ces femmes. J’accepte d’être là, moi aussi, tout simplement dans le silence.

Je prie en silence.